iulie 27, 2010

Le livre des masques


La littérature n'est pas en effet autre chose que le développement artistique de l'idée, que la symbolisation de l'idée au moyen de héros imaginaires. Les héros, ou les hommes (car chaque homme est un héros, dans sa sphère) ne sont qu'ébauchés par la vie; c'est l'art qui les complète en leur donnant, en échange de leur pauvre âme malade, le trésor d'une immortelle idée, et le plus humble peut être appelé à cette participation, s'il est élu par un grand poète. Quel humble que cet Énée que Virgile charge de tout le fardeau d'être l'idée de la force romaine, et quel humble que ce Don Quichotte à qui Cervantès impose l'épouvantable poids d'être à la fois Roland et les quatre fils Aymon, Amadis, Palmerin, Tristan et tous les chevaliers de la Table ronde! L'histoire du symbolisme, ce serait l'histoire de l'homme même, puisque l'homme ne peut s'assimiler une idée que symbolisée.
Par rapport à l'homme, sujet pensant, le monde, tout ce qui est extérieur au moi, n'existe que selon l'idée qu'il s'en fait. Nous ne connaissons que des phénomènes, nous ne raisonnons que sur des apparences; toute vérité en soi nous échappe; l'essence est inattaquable. C'est ce que Schopenhauer a vulgarisé sous cette formule si simple et si claire: Le monde est ma représentation. Je ne vois pas ce qui est; ce qui est, c'est ce que je vois. Autant d'hommes pensants, autant de mondes divers et peut-être différents. Cette doctrine, que Kant laissa en chemin pour se jeter au secours de la morale naufragée, est si belle et si souple qu'on la transpose sans en froisser la libre logique de la théorie à la pratique, même la plus exigeante, principe universel d'émancipation de tout homme capable de comprendre.

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