decembrie 10, 2009

Nobel 2009


“La troisième fois, il s'assit et je restai debout, car il avait posé sa serviette sur ma chaise. Je n'osai pas la mettre par terre. Il me traita d'idiote finie, de fainéante, de femme facile, aussi infecte qu'une chienne errante. Il repoussa le vase au bord du bureau et, au milieu, posa un crayon et une feuille de papier. Il hurla : écrivez ! Debout, j'écrivis sous sa dictée mon nom, ma date de naissance et mon adresse. Puis : quel que soit le degré de proximité ou de parenté, je ne dirai à personne que je ... et voici l'affreux mot roumain : colaborez, que je collabore. Ce mot, je ne l'écrivis pas. Je posai le crayon, allai à la fenêtre et regardai, au dehors, la rue poussiéreuse. Elle n'était pas asphaltée, elle avait des nids-de-poule et des maisons bossues. Cette ruelle délabrée s'appelait toujours Strada Gloriei, rue de la Gloire. Un chat était juché sur un mûrier tout dépouillé, rue de la Gloire. C'était le chat de l'usine, celui à l'oreille déchirée. Au-dessus de lui, un soleil matinal, comme un tambour jaune. Je fis : n-am caracterul. Je n'ai pas ce caractère-là. Je le dis à la rue, dehors. Le mot "caractère" exaspéra l'homme des services secrets. Il déchira la feuille et jeta les bouts de papier par terre. Mais à l'idée qu'il devrait présenter à son chef cette tentative de recrutement, il se baissa et ramassa tous les morceaux qu'il flanqua dans sa serviette. Puis il poussa un gros soupir et, dans sa déconfiture, lança le vase de tulipes contre le mur : il s'y fracassa, et on entendit comme un grincement de dents en plein vol. La serviette sous le bras, il marmonna : tu le regretteras, on te noiera dans le fleuve. Je fis en aparté : si je signe ça, je ne pourrai plus vivre avec moi-même, donc j'en viendrai là. Autant que vous vous en chargiez. La porte du bureau étant déjà ouverte, il était parti. Dehors, dans la Strada Gloriei, le chat de l'usine avait sauté de l'arbre sur le toit de la maison. Une branche se balançait comme un trampoline.”
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